© Leslie Feinberg, 2014 & © Hystériques & AssociéEs, 2019.
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12
Je me souviens encore de ce moment où j’ai vu Theresa, debout, juste là en face de moi. On entrait dans la conserverie avec Jan. Elle travaillait sur une machine à évider les pommes.
J’ai fait en sorte de pouvoir mieux la regarder. Je me demandais de quelle couleur étaient ses cheveux sous ce bonnet en papier blanc.
– Tu viens, oui ou non ? m’a demandé le contremaitre.
Je suis resté à la traine un moment. Son sourire me montrait qu’elle savait déjà qu’elle avait toute mon attention.
Même après, pendant qu’on remplissait les formulaires dans le bureau du contremaitre, je me sentais encore toute confuse et troublée. Theresa n’a jamais cessé d’avoir cet effet-là sur moi. Le contremaitre l’a remarqué, mais il n’a pas dû y prêter attention parce qu’il m’a affectée à la rangée juste à côté d’elle.
J’ai observé les femmes piquer une pomme sur une broche et appuyer sur une pédale. Les pommes tournaient sur elles-mêmes, elles étaient pelées et évidées en même temps. Tout ça atterrissait sur un tapis roulant qui venait vers moi. Juste après, le tapis roulant se divisait en deux.
Le contremaitre m’a tendu une baguette. Je l’ai regardé bêtement. Il m’a dit de cogner les trognons et les épluchures pour les envoyer d’un côté, et les pommes de l’autre.
– C’est tout ? ai-je demandé.
Il a grogné et il est parti.
Ainsi a commencé ma courte carrière de cogneuse de pommes.
Je savais que Theresa me regardait, alors j’ai voulu faire le geste avec sensualité, mais c’était un peu compliqué compte tenu de la tâche.
– Qu’est-ce que tu fais ? m’a-t-elle demandé.
J’ai haussé les épaules.
– J’inspecte les pommes. Tu sais : qualité des fruits, trous de vers, si elles ont été évidées et pelées efficacement.
Elle a jeté la tête en arrière et a souri.
– Tu veux dire que t’es une cogneuse de pommes ?
– Ouais, ai-je rigolé. Quelque chose comme ça.
– Eh toi, trou du cul ! a crié quelqu’un à la fin du tapis roulant.
Oui, bon, j’avais laissé quelques pelures descendre le tapis roulant. Ouhlala !
Theresa a ri doucement et elle est retournée à son travail. Elle jouait avec moi. Ce flirt faisait partie des plaisirs inattendus de la vie. Ça s’est fini presque aussi vite que ça avait commencé. Le contremaitre a annoncé qu’il me déplaçait.
– Vous savez, je peux faire mieux que ça en tapant ces pommes, ai-je insisté.
Je l’ai suivi vers une autre partie de l’usine où on faisait de la mise en conserve à proprement parler. Le bruit m’a terrifié. Le contremaitre a désigné un tapis roulant en forme de Y parallèle au plafond. J’ai vu un gars là-haut, à califourchon sur un énorme tuyau près de l’endroit où le tapis roulant se divisait en deux. Toutes les deux ou trois secondes, un carton tombait sur le tapis roulant à la queue du Y. Il les répartissait alternativement d’un côté ou de l’autre. Je le remplaçais.
Le contremaitre m’a montré une perche en métal avec des prises pour les pieds. J’attendais que le gars qui était déjà en haut redescende par là, mais il est descendu en se balançant de tuyau en tuyau, il s’est essuyé les mains et il est parti. Je me suis dit qu’il devait faire ce boulot depuis longtemps.
J’avais espéré grimper facilement au-dessus du vacarme, mais la hauteur et le grondement m’ont donné la nausée. Ce boulot avait l’air de requérir autant d’aptitude et de jugement que de cogner des pommes. Mais même si ce n’était pas une tâche complexe, ce n’était sûrement pas aussi facile que ça en avait l’air à première vue. Les cartons étaient remplis de lourdes conserves de compote de pommes. Ils passaient en trombe devant moi à une vitesse effrayante, et je devais les cogner pour les dévier. J’ai failli tomber. J’ai appris à frapper les boites avec un angle, pas de plein fouet. Une fois que j’avais pris le coup de main, j’ai réalisé le panorama qui s’offrait à moi. Je n’avais jamais vu la vie d’une usine du point de vue d’un oiseau. L’arrangement des machines, l’enchainement et l’interdépendance des tâches, la précipitation organisée des travailleurs.
J’ai entendu des éclats de voix près des toilettes des femmes. Butch Jan faisait face à deux femmes et un homme. Je m’étais déjà retrouvée un paquet de fois dans ce genre de bagarre, mais je n’y avais jamais assisté en tant que spectateur, en sécurité à l’extérieur de la scène. Jan se tenait debout, les mains sur les hanches, et sa bouche bougeait comme si elle criait. En regardant son corps, je pouvais voir à quel point elle était mal à l’aise et sur la défensive.
Je n’aurais jamais entendu le contremaitre qui m’appelait depuis en bas s’il n’avait pas cogné avec un marteau sur un tuyau en métal relié à celui sur lequel j’étais assise. La vibration m’a fait sursauter et la boite suivante a failli me rentrer dedans et me faire tomber. Il a pointé sa montre. Il devait être l’heure de manger.
J’ai retrouvé Jan à la cafétéria. Elle était à bout. Des femmes dans les toilettes avaient prétendu qu’elle était un homme. Elles avaient dit que Dieu n’avait pas créé les femmes pour qu’elles ressemblent à des hommes.
– Alors expliquez-moi, leur avait demandé Jan.
J’ai ri pendant qu’elle racontait son histoire, mais ce n’était vraiment pas drôle.
Quand j’ai vu la jolie fem arriver, Jan était en train de bredouiller d’émotion et je tenais à l’écouter jusqu’au bout.
– Elles ont dit qu’elles m’ont prise pour un homme à cause de mes tatouages.
Jan a frappé la table.
– J’ai dit : « Si vous pensiez vraiment que j’étais un homme, vous seriez sorties des toilettes en courant et en criant ! »
J’ai hoché la tête. Elle avait raison.
La femme s’est assise à une table avec ses amies. J’aurais juré qu’elle me matait. Jan a jeté un coup d’œil par-dessus son épaule pour voir ce que je regardais, puis elle a ri :
– Tu as vu quelque chose qui te plait dans le menu ?
Je me suis tortillé sur ma chaise.
– Bof, tu sais. Elle est probablement juste en train de jouer avec moi.
– Et comment !
Jan avait l’air au courant.
– Qu’est-c’que tu veux dire bordel ? ai-je enchainé du tac au tac.
– J’ai entendu dire qu’elle avait demandé ton nom à quelqu’un.
– Tu te fous de moi. Je te crois pas.
Jan semblait blessée.
– Non, vraiment pas.
J’ai senti l’espoir monter en moi. Puis redescendre.
– Oh, ça veut probablement rien dire, ai-je conclu.
Jan a souri comme s’il y avait autre chose.
– Ben, en fait elle a demandé si tu étais célibataire.
Ma mâchoire est tombée. Je n’arrivais pas à retrouver mon calme.
– Nom de Dieu… Détends-toi ! a dit Jan en me tapotant le bras.
– Jan, comment elle s’appelle ?
– Theresa.
J’ai savouré son nom, en le répétant dans ma tête. Quand tu te retrouves à faire ça, c’est le signe que quelque chose de grand est en train de se passer dans ton cœur.
À la fin de la journée, j’ai cherché Theresa du regard à la pointeuse, mais elle était cachée dans le flot de centaines de travailleurs qui s’en allaient et de centaines d’autres qui arrivaient pour l’équipe suivante. Je n’ai pas beaucoup parlé dans le bus du retour. Je regardais juste par la fenêtre. Jan a ri doucement en secouant la tête.
Le jour suivant, j’étais impatiente d’aller bosser. Jan et moi, on était affectées au chargement des camions. C’était un travail difficile. J’étais appuyée contre un poteau et je fumais une cigarette quand Theresa est passée pour aller aux toilettes. En l’occurrence, les toilettes étaient dans la direction opposée. J’étais mal à l’aise parce que je dégoulinais de sueur et mon t-shirt blanc était dégoutant. Theresa a souri.
– J’aime les butchs tout en sueur, a-t-elle dit comme si elle lisait dans mes pensées.
Bon sang, ces cartons ont navigué entre mes mains toute la journée comme s’ils étaient remplis de plumes.
La semaine suivante, je n’ai pas beaucoup dormi. Je bondissais du lit aussitôt que le réveil sonnait. Je parcourais le long trajet jusqu’à la conserverie avec excitation et impatience. Je voyais Theresa au moins deux fois par jour. J’étais sur un petit nuage.
Puis, un jour, Jan m’a pris à part après une pause.
– J’ai de mauvaises nouvelles pour toi, mon p’tit.
Theresa avait été virée. Le grand chef l’avait appelée dans son bureau pour le bilan des six mois. C’est alors qu’il lui avait empoigné les seins. Jan a dit que Theresa lui avait mis un coup dans le tibia, lui avait gueulé dessus, et lui avait tapé dans l’autre tibia. Bien joué. Mais bon, il l’avait virée.
J’ai dégringolé du sommet de mon euphorie. Après ça, ce n’était plus qu’un boulot. C’était même pire, puisque ça avait été tellement plus amusant avant. Je savais qu’il était temps de demander à l’agence d’intérim une nouvelle mission.
***
Le vendredi suivant, quand je suis arrivée au bar, j’étais bien contente de m’être lavé et habillé proprement avant de sortir. Theresa a passé la porte. J’avais abandonné tout espoir de la revoir. Elle avait persuadé quelques amies de la conduire à Buffalo pour me trouver. Heureusement pour moi, il n’y avait qu’un seul bar gay.
La teinte des cheveux de Theresa m’a rappelé les couleurs éclatantes d’une châtaigne. Ça avait largement valu le coup d’attendre pour voir ça. Ses yeux n’ont pas dissimulé à quel point elle était contente de me voir. Je crois qu’elle aurait aimé me serrer dans ses bras, mais elle s’est retenue. Moi aussi. J’ai embrassé la joue qu’elle m’a tendue.
J’ai vu Grant près du jukebox. Un instant après, j’ai entendu l’intro de Stand by your man. Merci, Grant. J’ai proposé à Theresa de danser. Elle a pris son temps. Elle a d’abord lissé mon col et ajusté ma cravate, avant de me conduire sur la piste de danse. Nos corps bougeaient bien, ensemble. Meg m’a dit plus tard qu’on était aussi bien que Ginger Rogers et Fred Astaire1.
Tout le temps où on dansait, Theresa suivait les contours de ma nuque avec ses ongles. Elle me rendait dingue. J’imagine que c’était le but. Je savais que je la rendais folle aussi, mais je le faisais avec beaucoup, beaucoup de prudence. Parfois, quand tu bouges juste un peu, avec précaution, c’est beaucoup plus puissant que si tu y vas à fond.
Quand la chanson s’est terminée, je me suis détachée d’elle, mais elle m’a retenu.
– Je n’essayais pas de te faire tourner en bourrique à l’usine, tu sais. Est-ce que c’est ce que t’as cru ?
– Non, c’était bien.
Elle a souri.
– Je trouve que c’était pas très sympa pour toi. Je t’allumais juste pour avoir ton attention. Je t’aimais bien.
J’ai rougi.
– Personne n’avait jamais flirté avec moi en dehors d’un bar avant. Je veux dire, dans le monde réel, tu vois ? Ça m’a donné l’impression d’être normale.
Elle a fait oui de la tête comme si elle comprenait vraiment.
On a parlé un moment de nos vies. C’était une fille de la campagne. Elle venait d’Appleton. Elle est allée droit au but. Elle m’a dit que des amies l’avaient conduite à ce bar juste pour qu’elle puisse me retrouver.
Puis quelqu’un a tapé sur son épaule. Les filles avec qui elle était venue à Buffalo s’en allaient. Elle a pris mon visage entre ses deux mains et m’a embrassée sur la bouche. J’ai rougi de la tête aux pieds. Elle a reculé et elle a souri en voyant ma couleur, fière de son travail.
– Je t’invite à diner chez moi samedi prochain, le soir, si tu veux, a-t-elle proposé.
– Ça marche, ai-je répondu, encore rouge d’émotion.
Elle a gribouillé son numéro de téléphone sur une serviette en papier. Elle a crié par-dessus son épaule :
– Appelle-moi !
– Tu peux compter sur moi, ai-je crié en retour.
Je rougissais encore.
À la manière dont tout le monde est venu me féliciter, on aurait cru que j’avais gagné le Kentucky Derby2. Je me sentais comme un roi. Je me suis juste demandé si j’avais enfin arrêté de rougir.
***
Le samedi, il m’a fallu la journée entière pour me préparer : choisir les bons vêtements, prendre un bain, une douche, encore une douche. Après il y a eu les questions comme : quelle cravate ? Eau de Cologne ou pas ? Quelque chose d’aussi enivrant demande beaucoup d’attention.
J’ai acheté des jonquilles pour Theresa. Quand je lui ai tendu les fleurs, ses yeux se sont remplis de larmes. J’ai eu l’impression que personne ne l’avait traitée comme quelqu’un de spécial avant. Je me suis silencieusement juré de toujours lui faire ressentir ça.
– J’arrive dans une minute, a-t-elle lancé depuis la cuisine.
J’étais content d’avoir ce temps pour fureter dans son salon et m’imprégner d’elle. Il y avait une chose dont je pouvais maintenant être certaine : elle aimait les fleurs séchées.
– C’est prêt ! a-t-elle appelé quelques instants plus tard. Ça te va de manger ici, dans la cuisine ?
Je n’avais jamais mangé à un autre endroit.
Elle m’avait fait un steak et une purée de pomme de terres avec du jus de viande. Bon dieu, ça avait l’air délicieux. Puis elle a mis un petit tas d’un truc mou et vert dans mon assiette.
– Qu’est-ce que c’est ? ai-je demandé aussi poliment que j’ai pu.
– Des épinards, a-t-elle répondu, en me piégeant du regard.
J’ai tourné autour avec ma fourchette.
– Y’a quelque chose qui va pas ? a-t-elle demandé.
– Je mange juste jamais de légumes, c’est tout.
Theresa a enlevé sa manique. Elle s’est assise sur une chaise à côté de moi et a pris mes deux mains dans les siennes.
– Ne dis jamais jamais, a-t-elle dit. On est trop jeunes pour fermer la porte à quoi que ce soit dans nos vies.
À ce moment, j’ai découvert que j’étais déjà amoureuse d’elle. J’ai aussi découvert qu’en fait, les épinards ce n’est pas si mauvais que ça, si tu mets beaucoup de beurre et de sel dessus.
Après le repas, je l’ai aidée à laver la vaisselle et à ranger. Puis, au bord de l’évier, on s’est rapprochées l’une de l’autre. J’étais toute timide, et je me suis rendu compte que ce n’était pas grave. Doucement, on s’est embrassées. Nos langues ont découvert un langage silencieux pour exprimer nos désirs. Et une fois qu’on était lancées, on ne voulait plus s’arrêter. C’est comme ça que ça a commencé.
Dans le mois, on a loué une remorque U-Haul3 et on a emménagé ensemble dans un nouvel appartement à Buffalo. C’était Theresa qui avait contacté le propriétaire. Il vivait à Kenmore. On comptait donc sur le fait qu’il n’allait jamais me croiser.
On a même eu des vrais meubles. Enfin, ils venaient de l’Armée du Salut, mais c’étaient des vrais meubles. Nos noms étaient imprimés dans un cœur sur le torchon accroché à la poignée de la porte du frigo. On l’avait fait faire à Crystal Beach. On était fières d’avoir eu le courage de le faire. Mais plus tard on a renversé du jus de mures dessus, donc on ne l’utilisait plus que pour la vaisselle parce qu’on ne pouvait pas se résoudre à le jeter. Il y avait des soucis dans des verres ambrés sur le rebord de la fenêtre, des marguerites dans un vase vert avec des motifs sur la table de la cuisine, de la menthe fraiche et du basilic qui poussaient dans un bac à fleurs sur la véranda.
C’était un foyer.
J’ai grandi d’un coup. J’ai appris à réduire les anxiétés de la vie en payant les factures à temps, en gardant les accusés de réception et les relevés, en faisant la lessive avant d’être en rade de sous-vêtements, en ramassant mes affaires derrière moi. Plus important, j’ai appris à dire « je suis désolée ». Cette relation était trop vitale pour laisser la poussière s’accumuler dans les coins.
J’ai commencé à réaliser combien j’étais meurtrie sur le plan affectif, combien j’étais abimée. Mais Theresa arrivait toujours à sentir quand j’étais sur le point de me figer comme une pierre. Elle le voyait arriver à la manière dont je tenais mon corps quand je traversais la pièce. Elle pouvait l’entendre dans les histoires d’abus de la vie quotidienne – au boulot, à l’épicerie du coin, dans la rue. Dans ces moments-là, elle me racontait des histoires au lit – des rêveries merveilleuses, sensuelles et tactiles qui donnent l’impression à ton corps d’être allongé sur le sable sous le soleil, avec les vagues de l’océan qui viennent lui lécher les pieds. Ou qui te font imaginer monter un vieil escalier en bois pour arriver dans une chambre pittoresque et ensoleillée, où t’attend une amante. Ces histoires combinaient thérapie de relaxation et fantasmes sexuels, destinés simultanément à me calmer et à m’exciter. Elles faisaient les deux. Theresa arrivait toujours à faire fondre ma pierre.
***
On était en 1968. La révolution semblait miroiter à l’horizon. Des millions de personnes descendaient dans la rue lors de manifestations. Le monde explosait de changements. Partout. Enfin, sauf dans les usines où je travaillais. Chaque matin à l’aube, on pointait comme d’habitude. On ne rêvait que la nuit.
On n’ignorait pas qu’une guerre faisait rage4. À l’usine, il n’y avait presque plus de gars en âge d’être appelés. Quand une collègue était absente pendant plusieurs jours, on la soupçonnait d’avoir perdu un mari, un fils ou un frère. Quand elle revenait travailler, le chagrin et le teint de cendre sur son visage nous le confirmaient.
Je savais qu’il y avait une guerre. Je n’étais pas stupide. Je ne savais juste pas ce que je pouvais bien faire par rapport à ça.
C’est le boulot de secrétaire que Theresa faisait à l’université qui a ouvert une fenêtre et m’a permis de sentir la force colossale du changement. Elle ramenait à la maison des tracts, des brochures et des journaux indépendants. J’ai lu des choses sur le Black Power et sur la libération des femmes. J’ai commencé à comprendre que cette contestation contre la guerre était plus profonde et plus organisée que ce que j’avais cru. Elle me disait :
– Il y a des rassemblements sur le campus et des manifs presque tous les jours maintenant, pas juste contre la guerre, mais aussi pour ouvrir les écoles à tout le monde.
Theresa nous a abonnées aux journaux du matin et du soir. Un jour, elle a laissé un exemplaire de The Ladder sur un canapé. C’était un magazine édité par un groupe nommé The Daughters of Bilitis5. Je ne savais pas qui était Bilitis. Jusqu’ici, je n’avais jamais rien vu d’imprimé qui parle de femmes comme nous.
– Tu l’as trouvé où ? lui ai-je lancé.
Elle m’a répondu de la cuisine.
– Dans le courrier.
– Tu l’as fait envoyer à notre adresse par courrier ? C’était emballé ? Et si quelqu’un dans l’immeuble l’a vu ?
Après un long silence, Theresa est venue avec un petit miroir et l’a tendu devant mon visage :
– Tu croyais que c’était un secret ?
***
Theresa avait besoin de soins dentaires, mais elle ne pouvait pas faire d’heures supplémentaires à l’université. Alors quand l’agence d’intérim m’a proposé de faire les trois-huit à l’usine d’électronique, j’ai sauté sur l’occasion. Theresa a demandé si l’augmentation de la production à l’usine avait quelque chose à voir avec la guerre. Dans tous les cas, on avait besoin d’argent alors j’ai accepté.
J’ai commencé les trois-huit le jeudi soir. C’était tuant. À la fin du troisième jour, mes mains pouvaient à peine sentir les fils de fer que je soudais. J’ai fini par me bruler l’index avec le métal rougi par la chaleur.
Quand je suis rentré le vendredi soir, Theresa était sortie. J’ai laissé un mot, je me suis écroulée sur le lit et j’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillée, elle était allongée à côté de moi et fumait une de mes cigarettes. J’ai su qu’il se passait quelque chose. Elle était non-fumeuse. Theresa est sortie de la pièce. Elle est revenue avec de la pommade et des pansements pour mon doigt.
– T’as entendu que le Docteur King a été tué6 ? m’a-t-elle demandé.
J’ai allumé une cigarette et je me suis recouché.
– Ouais, j’en ai entendu parler jeudi soir au boulot. Quel jour on est, au fait ?
– On est samedi après-midi, a-t-elle répondu. Il y a eu des émeutes partout.
Elle a soupiré :
– Et Jess, il y a eu une vraie embrouille au bar hier soir.
J’ai senti une pointe de jalousie.
– T’y es allée sans moi ?
Theresa m’a caressé les cheveux.
– C’était l’anniversaire de Grant, tu te souviens ?
Je me suis tapé le front.
– Merde, j’avais oublié. Comment c’était, la fête ?
Theresa a attrapé une autre de mes cigarettes. Je lui ai saisi la main.
– Waouh ! Qu’est-ce qui se passe ?
– Il y a eu une grosse bagarre hier, une baston, a-t-elle repris.
J’ai froncé les sourcils.
– Ça va ?
Theresa a fait oui de la tête.
– Les flics ? ai-je demandé.
Elle a secoué la tête.
– Bon, qu’est-ce qui s’est passé ?
Theresa a pris une longue inspiration.
– L’armée a annoncé jeudi soir à la famille de Grant que son frère avait été tué. Grant était déjà bourrée quand elle s’est pointée à la soirée. Au début, tout le monde a essayé de la consoler. Puis quelques-unes des vieilles butchs qui ont fait l’armée ont commencé à parler de la guerre. Certaines des choses qu’elles ont dites n’ont pas plu à tout le monde.
J’ai écouté tranquillement.
– Grant a dit qu’on devrait lâcher une bombe A sur le Vietnam. Elle a dit qu’ils ne manqueraient à personne. Ed a dit à Grant qu’elle était raciste, et qu’on devrait renvoyer tous les soldats chez eux. Ed a dit qu’elle se sentait comme Mohamed Ali7, qu’elle n’avait jamais eu de problèmes avec les gens de là-bas. Grant l’a traitée de communiste.
J’ai secoué la tête et j’ai commencé à parler. Theresa a mis un doigt sur ma bouche.
– Puis c’est devenu bien pire, chérie, a-t-elle dit. Grant a dit des choses terribles sur le meurtre de Luther King, sur les émeutes. Elle ne voulait pas s’arrêter. Alors Ed l’a frappée.
J’ai écrasé ma cigarette.
– Oh merde.
– Bref, a continué Theresa, Grant a tenu Ed contre le bar, en l’étranglant. Peaches a viré Grant et lui a martelé la tête avec ses talons hauts. D’autres personnes se sont retrouvées là-dedans juste parce qu’elles étaient bourrées. Ed a des plaies au visage. Grant a eu une commotion. Et maintenant Meg dit que les Noirs ne seront plus acceptés au Abba’s pendant un moment.
Je n’arrivais pas à croire ce qu’elle disait.
– Merde Theresa, et toi qu’est-ce que t’as fait ?
Theresa m’a regardée droit dans les yeux.
– Quand Grant a essayé de frapper Peaches sur la tête avec un tabouret de bar, j’ai fracassé une bouteille de bière sur la tête de Grant et je l’ai assommée. Je n’ai plus le droit non plus d’entrer au Abba’s.
Je me suis penché en avant et je l’ai embrassée sur la bouche.
– Ça avait l’air d’être le bordel.
Je me suis assise et j’ai dit :
– Je ferais mieux d’appeler Ed pour savoir si ça va.
Theresa m’a tiré le bras.
– Viens là, bébé. N’appelle pas tout de suite.
– Pourquoi pas ?
Theresa a haussé les épaules.
– Qu’est-ce que tu vas dire à Ed ?
– Je sais pas. Je veux juste savoir si ça va. Je pense juste que nous toutes, on ne devrait pas se battre les unes contre les autres. On a besoin de se serrer les coudes.
Theresa a hoché la tête comme si je confirmais quelque chose qu’elle savait déjà. Elle m’a tirée contre son corps. Une vague d’épuisement m’a écrasé.
– Sois prudente, a chuchoté Theresa. Réfléchis avant d’appeler Ed.
J’ai basculé la tête en arrière et j’ai étudié son visage. Je n’avais jamais pu lire dans les pensées de cette femme.
– Allons quelque part, a-t-elle dit.
J’ai gémi :
– Je suis trop fatiguée.
Theresa m’a attrapé une poignée de cheveux et m’a tiré la tête en arrière.
– Trop fatiguée pour qu’on aille se bécoter derrière une dune de sable à Beaver Island ?
Elle en avait dit assez pour me faire céder rapidement.
– OK, d’accord. On prend la voiture ?
Theresa a secoué la tête.
– Sors la moto du garage.
– T’es folle ? j’ai rigolé. Il fait froid !
Theresa a glissé ses mains autour de ma taille.
– On est en avril, chérie. Vivons comme si c’était déjà le printemps.
Au moment où on a balancé nos jambes par-dessus la Norton, j’ai su que c’était une bonne idée. C’était tellement bon de prendre les virages ensemble. Une des mains de Theresa a glissé sur ma cuisse. J’ai monté le régime du moteur en réponse. Un vent froid léchait les sourires de nos bouches.
Après les marais, on a roulé plus doucement. Theresa a montré du doigt un troupeau d’oies sauvages qui allaient vers le nord. La plage était quasi déserte. Quelques mères flânaient sur la promenade avec leurs enfants en bas âge.
On s’est affalées sur le sable à côté de la promenade. Le soleil était fort et chaud. On pouvait entendre une radio tourner légèrement au loin.
Je me suis adossée à une dune et j’ai étendu mes jambes. Theresa s’est glissée entre mes cuisses et s’est appuyée contre moi. J’ai enroulé mes bras autour d’elle et j’ai fermé les yeux. Le clapotis de l’eau et les cris des mouettes ont apaisé toute la tension de mes muscles.
– Chérie, a-t-elle dit.
Quelque chose dans son ton a crispé mes muscles à nouveau.
– Toi et moi, on n’a jamais vraiment parlé de la guerre. Je ne sais même pas où t’en es avec ça.
Mes lèvres étaient proches de sa joue.
– J’ai lu quelques tracts que t’as ramenés à la maison.
Theresa s’est retournée pour me regarder.
– Mais qu’est-ce que t’en penses ?
J’ai haussé les épaules.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? Je déteste la guerre. Mais JFK8 ne m’a pas demandé si je voulais en commencer une. Ils vont faire ce qu’ils veulent. Pourquoi tu me demandes ça ?
Avec ses coudes, Theresa a serré mes genoux contre ses côtes.
– Je déteste cette guerre, Jess. Ça doit s’arrêter. Il y a des rassemblements de protestation au campus quasi tous les jours. Si un membre du personnel se fait repérer à l’un d’eux, il risque de se faire virer. Mais je pense quand même aller au grand rassemblement la semaine prochaine.
J’ai sifflé.
– Tu risques d’être virée pour y être allée ?
Theresa a fait oui de la tête.
– Je ne peux pas m’asseoir et regarder, Jess. C’est arrivé au point où je sens que je dois faire quelque chose.
Je me suis allongée sur le ventre dans le sable frais.
– C’est marrant de t’entendre parler comme ça. Tu sais, je n’avais jamais réalisé, avant, à quel point nos boulots sont différents. Tous ces trucs qui se passent là où tu bosses. Ça ne nous atteint pas à l’usine, à part quand un des gars est appelé ou tué.
Theresa a hoché la tête.
– Je sais, chérie. C’est la première fois de ma vie que j’ai un boulot où je peux voir ce qui se passe dans le monde. Toute la journée, j’entends des personnes débattre de choses qui se passent. Avant, j’écoutais juste. Mais maintenant, c’est important pour moi. Maintenant, j’ai des opinions sur ce qui se passe et je veux aider à essayer de changer les choses.
J’ai serré une de ses mains pour l’arrêter.
– Doucement, chérie.
Je me suis affalé sur le dos. Je me suis demandé pourquoi ses mots me terrifiaient tellement.
– C’est pour ça que tu m’as emmenée jusqu’ici aujourd’hui ? Pour me parler de ça ?
J’ai protégé mes yeux du soleil pour regarder son visage.
Elle a secoué la tête.
– Je t’ai emmenée jusqu’ici pour que tu ne puisses pas appeler Ed tout de suite – pas avant qu’on en parle.
J’ai froncé les sourcils.
– Pourquoi ?
Theresa a souri et s’est tellement rapprochée que je pouvais sentir sa respiration dans mon oreille.
– Parmi tout ce que j’aime chez toi, y’a une chose que j’ai particulièrement aimée quand j’ai commencé à te connaitre. Tu sais ce que c’est ?
J’étais en train de me faire manipuler, mais en douceur, alors ça ne me dérangeait pas trop.
– Dis-moi, ai-je souri.
Theresa a ri.
– Tu étais toujours celle qui ramenait la paix. Chaque fois que les butchs étaient bourrées et qu’elles s’échauffaient, tu trouvais un moyen d’intervenir et de désamorcer les choses. J’ai même remarqué que parfois, quand deux vieilles butchs étaient sur le point de se prendre la tête, elles se tournaient vers toi l’une après l’autre, puis tu allais parler à chacune et au final, il n’y avait pas de baston.
J’ai tourné la tête pour la regarder.
– Je parie que si tu me dis ça, c’est que tu as une idée derrière la tête.
Theresa m’a serré le bras.
– C’est une de tes qualités. Cette manière de calmer les gens quand ils sont furieux les uns contre les autres. Parfois, c’est très important de rester soudées. Mais pas toujours.
Je me suis assise.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
Theresa s’est assise à côté de moi.
– Des fois, tu dois prendre parti.
J’ai attrapé mes cigarettes et j’en ai allumé une. Theresa me l’a prise des mains. J’en ai allumé une autre pour moi.
– Parti pour quoi ? lui ai-je demandé.
Theresa a fait courir ses doigts dans mes cheveux.
– Pour ou contre la guerre, déjà. Si tu t’affiches contre la guerre, tu vas devoir te confronter à certaines des vieilles butchs. Et je pense que ça va être très dur pour toi.
J’ai soupiré.
– Bien sûr que je suis contre la guerre. Qui est pour la guerre ?
Theresa a soupiré.
– Certaines des butchs sont pour la guerre, chérie. Es-tu sure d’être vraiment contre toutes les guerres ? Est-ce qu’il y a des guerres qui te semblent différentes ?
J’ai mis un temps à réagir.
– Comme quoi ?
Theresa a pris une longue bouffée de sa cigarette.
– Ed a le sentiment d’être en guerre ici, chez elle. Tu n’as pas encore lu les nouvelles. Des villes brulent. Il y a l’armée dans les rues.
J’ai haussé les épaules.
– C’est différent.
Theresa a hoché la tête.
– Oui, ça l’est. Et tu dois trouver comment te situer.
J’ai recraché la fumée et j’ai regardé le vent l’emporter au loin.
Theresa a regardé mon visage, d’un air manifestement préoccupé.
– Je te dis juste de faire attention, chérie. Réfléchis avant de parler à Ed ou à quelqu’un d’autre de ce qui s’est passé la nuit dernière.
J’ai écouté le cri des mouettes. Theresa m’a tiré la manche, réclamant une réponse.
– Je t’écoute. Je suis contente que tu ne m’aies pas laissé foncer tête baissée quand j’ai voulu appeler Ed. Tout change si vite. Parfois je comprends ce qui se passe, puis je perds à nouveau le fil. J’y réfléchirai. Je ne sais juste pas quoi en penser.
Theresa m’a embrassé sur les lèvres.
– Voilà une bonne réponse. Tu vas trouver. Tu essaies toujours de faire ce qui est bien.
J’ai baissé les yeux. De sa main, Theresa m’a relevé le menton. Elle me demandait des yeux ce que je ressentais.
– J’ai juste peur, je lui ai dit. Toutes ces choses ne m’avaient pas encore vraiment touchée jusque-là. Mais tout à coup, je réalise combien tu as changé, et ça me terrifie. J’ai peur que tu changes, et moi pas.
Theresa m’a tirée au-dessus d’elle. J’ai jeté un coup d’œil pour voir s’il y avait quelqu’un autour. On était seules. Elle a chuchoté :
– Jess, n’aie pas peur de me laisser changer. On change toutes. Qui sait ? Tu pourrais finir par changer tellement que tu me laisserais derrière.
J’ai ri à ces mots.
– Jamais, ai-je promis. Ça n’arrivera jamais.
***
Avant que j’aie pu mettre la clé de notre appartement dans la serrure, Theresa a ouvert la porte.
– Comment ça s’est passé ? m’a-t-elle demandé.
J’ai haussé les épaules.
– C’était dur. J’ai parlé avec Jan en premier. Elle a dit quasiment la même chose que ce que je t’avais dit : qu’on ne devrait pas se battre les unes avec les autres. Mais elle a reconnu que Grant pouvait être vraiment pénible.
Theresa m’a conduite jusqu’au canapé.
– T’as parlé à Meg ?
– Ouais. Jan est venue avec moi. On a parlé à Meg avant que les autres se pointent pour le rendez-vous. J’ai dit à Meg que ce n’était pas en virant les butchs et les queens Noires qu’elle allait maintenir la paix, parce que moi aussi j’aurais sauté à la gorge de Grant pour la merde qu’elle avait dite. Jan m’a soutenue.
Theresa a souri.
– T’as parlé de moi ?
J’ai ri.
– Pas à ce moment-là. J’ai dit à Meg que si elle comptait exclure toutes les personnes que Grant pouvait blesser quand elle était bourrée, elle pourrait aussi bien fermer le bar. J’ai dit que ça aurait plus de sens d’interdire à Grant d’entrer quand elle est torchée.
Theresa a hoché la tête. J’ai allumé une cigarette.
– Alors ? a-t-elle demandé avec impatience, et après ?
J’ai soupiré.
– J’ai dit que c’était pas simplement parce que Ed était mon amie. J’ai dit à Meg que je pensais qu’elle ne faisait pas les choses bien. Elle a répondu qu’elle avait un commerce à faire tourner. J’ai dit que je savais bien, mais que je ne mettrais pas les pieds dans un bar réservé aux blancs.
Theresa m’a tapé sur l’épaule.
– Bon point pour toi, putain. C’est ça !
– Quoi qu’il en soit, quand Grant est arrivée, elle s’est excusée d’avoir passé sa rage sur tout le monde après la mort de son frère.
Theresa a hoché la tête.
– Bien.
J’ai secoué la tête.
– Bon, ce n’était clairement pas suffisant. Elle a refusé de s’excuser pour les conneries racistes qu’elle avait dites. Grant a serré la main de Ed. Ed m’a dit de laisser couler pour le moment.
Theresa m’a secoué le bras.
– Vous avez parlé, Ed et toi ?
J’ai souri.
– Ouais, on est allées chez elle plus tard. J’ai dit à Edwin que je l’aimais –c’est mon amie. J’ai dit que le monde changeait plus vite que moi et que j’avais besoin de raccrocher les wagons pour comprendre. Ed m’a parlé pendant plusieurs heures.
Theresa a commencé à me masser les épaules. Ça m’a fait sacrément du bien.
– De quoi elle a parlé ?
J’ai essayé de me souvenir.
– De tellement de trucs que c’est difficile pour moi de tout rassembler pour te raconter. Tu sais, je pense tout le temps que c’est à peu près la même chose pour Ed et pour moi, de faire avec notre quotidien de butchs, tu vois ? Et là, Ed m’a rappelé tout ce qu’elle affronte tous les jours et que moi je n’affronte pas.
Theresa a souri en hochant la tête.
– Qu’est-ce que t’as dit ?
J’ai secoué la tête.
– Je n’ai rien dit. J’ai écouté autant que j’ai pu. Regarde ce que Ed m’a donné.
J’ai montré à Theresa l’exemplaire de The Souls of Black Folk de W.E.B. Du Bois9. Theresa a lu l’inscription : À mon amie, Jess. – Je t’aime, Edwin. Ed avait fait un petit cœur à la place du point sur le i de son prénom.
Quand Theresa a relevé la tête, j’ai vu des larmes dans ses yeux. Elle m’a baissé la tête et m’a embrassé partout sur le visage.
– Moi aussi je t’aime, Jess, m’a-t-elle chuchoté à l’oreille.
***
Theresa et moi, on a toutes les deux entendu au même moment le tapage à l’extérieur du bar. Elle a posé sa bouteille de bière et elle a couru dehors. J’ai attrapé nos bouteilles au cas où on aurait besoin de les casser pour en faire des armes. Une fois dehors, on s’est toutes les deux arrêtées d’un coup sur notre lancée. Justine était à genoux. Un flic se tenait près d’elle. Sa matraque pendait lâchement à ses côtés. J’ai vu du sang dégouliner sur le côté du visage de Justine.
C’était une soirée de juillet, d’une chaleur étouffante. Beaucoup de gens s’étaient éparpillés à l’extérieur pour boire leur bière. Deux voitures de police étaient garées en face du bar. Quatre flics nous faisaient face.
– Rentrez à l’intérieur vous tous ! a aboyé un des flics.
Aucune de nous n’a bougé.
Le flic qui se tenait près de Justine a attrapé une poignée de ses cheveux.
– Debout, a-t-il ordonné.
Elle a trébuché en essayant de se lever et elle est retombée sur le bitume.
Theresa a enlevé ses talons hauts.
– Enlève tes mains d’elle, a lancé Theresa au flic.
Sa voix était basse et calme.
– Laisse-la tranquille.
Theresa a marché doucement vers le flic avec ses talons dans la main. J’ai retenu ma respiration. Georgetta a enlevé ses deux talons aiguilles et en a pris un dans chaque main. Elle a marché derrière Theresa. Elles ont échangé un regard que je n’ai pas pu voir et se sont dressées côte à côte.
Le flic a posé la main sur la crosse de son flingue. Je ne sais pas comment, mais on savait toutes instinctivement qu’aucune butch ne devait bouger à ce moment-là.
J’ai entendu la voix de Peaches.
– Qu’est-ce qui se passe ici ?
On s’est jeté un coup d’œil les unes aux autres.
– Oh oh, a-t-elle lâché.
La voix de Theresa était aussi basse qu’un murmure.
– Laisse-la tranquille.
Avec Georgetta, elles se sont avancées peu à peu jusqu’à entourer Justine. Le bras de Theresa s’est drapé autour des épaules voutées de Justine. Justine s’est agrippée aux bras de Theresa et de Georgetta pour se relever. Quand elle a vacillé, Theresa a enroulé un bras autour de sa taille pour la soutenir.
Le flic a dégainé son flingue.
– Putain de salope, a-t-il beuglé à Theresa.
– Putains de pervers, nous a-t-il crié à toutes.
Un autre flic lui a fait rengainer son arme.
– Allez, on s’en va.
Lentement, les quatre flics se sont repliés.
Quand les flics sont partis, j’ai lâché un soupir. Theresa et Georgetta ont serré Justine dans leurs bras pendant qu’elle pleurait. Je me suis précipitée vers Theresa mais Peaches a enroulé son bras autour de mes épaules.
– Donne-leur une minute, chérie, m’a-t-elle conseillé.
On a formé un grand cercle autour d’elles. Theresa s’est retournée et elle est tombée dans mes bras. Je pouvais sentir son corps trembler.
– Mon dieu, tu vas bien ? ai-je chuchoté dans ses cheveux.
Elle a enfoui son visage dans mon cou.
– J’en suis pas sure, pour l’instant. Je te dirai dans quelques minutes.
– J’ai cru qu’il allait te tuer, lui ai-je dit.
Theresa a hoché la tête.
– J’ai eu tellement peur, Jess.
J’ai souri.
– Je suis tellement fière de toi.
Theresa a étudié mon visage.
– C’est vrai ? J’avais peur que tu penses que c’était vraiment stupide de faire ça.
J’ai secoué la tête.
– Tu as été très courageuse.
– J’étais vraiment terrifiée, a-t-elle soupiré.
J’ai souri.
– Un jour, quelqu’un m’a dit qu’être courageuse, ça signifiait faire ce que tu as à faire, même si tu as peur.
Theresa a levé les yeux vers moi.
– Ça t’arrive d’avoir peur, Jess ?
Sa question m’a abasourdie.
– Tu rigoles ? J’ai tout le temps peur.
Elle a hoché la tête.
– C’est ce que j’imaginais, mais c’est la première fois que tu me le dis.
– Vraiment ? Je ne te dis pas comment je me sens ?
Theresa s’est mordu la lèvre inférieure et a secoué la tête.
J’ai rougi.
– Je pensais que tu savais.
Elle a fait oui de la tête.
– Je sais. Parfois. La plupart du temps. Mais tu n’en parles jamais.
J’ai soupiré.
– Je n’ai pas de mots, chérie. Je ne sais pas comment parler de ce que je ressens. Je ne sais même pas si je ressens des choses comme tout le monde.
Peaches a doucement écarté Theresa de moi.
– Allez, vous toutes. On va payer des coups à Georgetta et à Theresa jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus tenir debout.
Ed est arrivée dans le bar vingt minutes plus tard.
– J’ai loupé ça ? a-t-elle gueulé. Oh, merde. Pourquoi j’étais pas là ?
J’ai ri.
– Tu peux en être contente. Ça aurait pu tourner autrement. C’était limite.
Jan m’a donné une claque sur l’épaule.
– Ouais, mais aujourd’hui, les fems leur ont montré qu’il ne faut pas se frotter à nous. C’était comme ce qui s’est passé à Greenwich Village il y a quelques semaines.
J’ai froncé les sourcils.
– Qu’est-ce qui s’est passé ?
– Stonewall ! a crié Grant.
J’ai regardé Ed et j’ai haussé les épaules.
Jan a eu un grand sourire.
– Les flics ont voulu faire une descente dans un bar de Greenwich Village, mais au lieu de ça, il y a eu une baston. Les drag queens et les il-elles leur ont vraiment botté le cul.
Grant a ri.
– J’ai entendu dire qu’ils avaient essayé de bruler le bar avec des flics barricadés dedans10.
J’ai soupiré.
– Merde, j’aurais aimé être là-bas.
– Ouais, c’est exactement ce que je me dis à propos de ce qui s’est passé ce soir, a conclu Ed en tapant du poing sur le bar.
***
Mes amies se sont toutes ruées vers moi à l’instant où j’ai mis le pied à l’intérieur du Abba’s. Ed semblait aussi excitée que moi.
– Fais-voir la bague ! elle a dit.
J’ai regardé autour.
– Est-ce que Theresa est déjà là ?
Ed a secoué la tête.
– Pas encore. Allez, dépêche-toi.
J’ai sorti le mouchoir en soie de la poche intérieure de ma veste et je l’ai ouvert. La bague en or était ornée d’un tout petit diamant et de deux petits fragments de rubis. Tout le monde a poussé le même cri à l’unisson. Oooohhh !
Ed m’a tapoté l’épaule.
– Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble, vous deux ?
– Près de deux ans.
Ed a ri.
– Et ça fait combien de temps que t’as cette bague qui attend dans un coin ?
J’ai ri et j’ai haussé les épaules.
– Un sacré bout de temps. Tout le monde est prêt ?
Edwin a fait oui de la tête.
– Jan et Frankie sont aux toilettes en train de se préparer. Elles n’ont pas trouvé de smoking blanc alors on en a toutes mis un couleur crème. Ça va ?
J’ai eu un grand sourire.
– Ça va pour moi, si ça leur va aussi bien qu’à toi.
Ed a tapoté ma veste. J’ai commencé à angoisser.
– Est-ce que tout le monde sait ce qu’elle a à faire ?
Ed a ri.
– Je me suis tellement entrainée sur Blue Moon11 dans toute la maison que Darlene a dit que pour la Saint Valentin, tout ce qu’elle veut c’est ne plus jamais entendre cette chanson.
Frankie et Jan sont sorties de la salle de bain.
– La vache ! leur ai-je lancé, vous en jetez, les amies !
C’était la vérité. Elles ont eu un grand sourire.
Peaches s’est frayé un chemin à travers la foule.
– Regarde ! a-t-elle dit en souriant fièrement.
Elle tenait un énorme carton avec dessus, une pleine lune peinte en bleu. Peaches l’a retourné. L’autre face était dorée. J’ai mis du temps à réagir.
– Comment ça se fait que le visage de l’homme sur la lune te ressemble tellement, Peaches ?
Peaches s’est redressée de toute sa hauteur.
– Où est-ce que tu vois un putain d’homme ? La lune est une fem, mon p’tit. Une high-fem haute dans le ciel12, n’oublie pas ça.
J’ai vérifié l’heure.
– Merde. Theresa va être là dans une minute.
Jan et Meg se sont dirigées droit sur moi. Elles avaient l’air ennuyées. Meg a parlé en premier.
– Oh, Jess. Je suis vraiment désolée pour ça.
Mon ventre s’est serré.
– Quoi ?
Meg s’est frotté le front.
– J’ai installé le phonographe à l’arrière. Jan était en train de répéter ce truc, le dip-di-dip du début. L’aiguille a glissé sur le disque. Au début on a cru que ça allait le faire, mais ça le fait pas.
J’ai regardé Ed.
– Qu’est-ce qu’elle dit ?
– Hum, a grimacé Ed, je pense qu’elle dit que nous n’avons plus de musique.
– Quoi ? ai-je paniqué. Oh bon sang, c’est complètement foutu maintenant !
Jan m’a prise par les épaules et m’a tournée pour me mettre face à elle.
– Jess, respire un bon coup.
C’est ce que j’ai fait.
– C’est la Saint-Valentin. C’est vraiment une fête sacrée pour une high fem. Tu prépares ça depuis un bon bout de temps maintenant. Est-ce que tu vas tout laisser tomber ?
J’ai fait la moue.
– Qu’est-ce que je peux faire, merde ?
Jan a souri.
– Tu peux chanter pour ta copine.
– Tu veux dire chanter en vrai ? Avec ma propre voix ?
Ed a hoché la tête énergiquement.
– Ouais ! On peut te faire un joli do-wah-do en chœur.
– Jan, ai-je supplié, ça ne vaudra rien si je chante.
Jan a souri.
– Je sais. Mais la seule chose qui compte c’est d’avoir le cran de dire à Theresa à quel point tu l’aimes. Un jour, Edna m’a dit que prendre le risque d’avoir l’air cinglée était la chose la plus forte qu’une butch pouvait faire pour prouver son amour. Je ne dis pas que je pourrais le faire, mais je transmets l’info.
Ce qui m’a fait peur, c’est que je savais que Jan avait raison. Et que je savais que j’allais le faire.
Justine m’a embrassée sur la joue.
– Theresa est là, m’a-t-elle chuchoté à l’oreille.
Frankie, Jan et Ed ont pris position en face du bar. J’étais caché derrière. Meg s’est agenouillée à côté de moi.
– Je suis désolée, gamine, a-t-elle dit.
J’ai fait un signe de la main.
– Oublie ça. Si je survis à ce qui va se passer là, ça n’aura plus d’importance.
Après un long silence, la voix de Jan a retenti. Elle se souvenait de chaque dip-di-dip et dinga-dong-ding avant de glisser vers un grave et profond Blue Mooooonnn.
Je suis sorti de derrière le bar. C’est l’expression sur le visage de Theresa qui m’a donné le courage d’élever ma voix.
– Blue Moon, you saw me standing alone, without a dream in my heart, without a love of my own13.
Ma voix se cassait et tanguait d’embarras et d’émotion. Theresa s’est mordillé la lèvre inférieure et s’est mise à pleurer.
Do-wah-do, chantaient en chœur mes amies. Peaches se tenait derrière moi et faisait onduler de gauche à droite la lune peinte en bleu, en dessinant un grand arc au-dessus de ma tête.
J’ai tendu la main vers Theresa. But then you suddenly appeared before me and when I looked the moon had turned to gold14 ! Peaches a retourné la lune sur sa face dorée. Tout le monde s’est exclamé. Peaches a fait une révérence, puis a continué à danser avec la lune.
Theresa s’est approchée de moi. J’ai fini la chanson en dansant dans ses bras.
J’ai réalisé que c’était la vérité, je n’étais pas seule. J’avais un amour à moi15.
Do-wah-do, les chœurs étaient bas et doux.
J’ai sorti le mouchoir de ma poche intérieure et je l’ai ouvert prudemment. En voyant la bague, Theresa a craqué. J’ai pleuré moi aussi. Le moment était vraiment parfait. J’ai glissé la bague à son doigt. J’avais préparé tout un discours sur ce qu’elle représentait pour moi, mais je ne parvenais pas à retrouver les mots.
– Je t’aime, je lui ai dit. Putain qu’est-ce que je t’aime.
– Tu es la meilleure chose qui me soit jamais arrivée, m’a chuchoté Theresa.
Elle a pris ma main droite dans les siennes et a fait courir son pouce doucement sur la cicatrice de mon annulaire.
– Je veux que tu portes une bague aussi.
J’ai secoué la tête d’un air triste.
– J’y ai pensé, mais j’aurais trop peur. Je me dis que si un jour les flics me prennent cette bague, ça va juste me faire péter les plombs.
Theresa s’est touché la joue.
– Si tu vis dans la peur de perdre ce que tu aimes, tu ne pourras jamais te laisser aller à ressentir vraiment cet amour. Si tu la portes, je mettrai dans cette bague tout l’amour que j’ai pour toi. Et si un jour quelqu’un te la prend, tout ce qu’il aura c’est une bague en métal. Alors j’irai te chercher une autre bague et je mettrai à nouveau tout mon amour dedans. Comme ça, tu ne la perdras jamais, Jess. OK ?
J’ai hoché la tête et j’ai caché mon visage dans son cou. Do-wah-do, nous fredonnait tout le monde dans le bar pendant qu’on ondulait sur cette musique.
C’était le moment le plus doux que j’avais jamais vécu.
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1. Ginger Rogers et Fred Astaire, duo mythique du cinéma musical états-unien des années 1930-1940, ont tourné ensemble dans une dizaine de films.
2. Course hippique.
3. Société de déménagement.
4. De 1955 à 1975, une guerre oppose le Sud Vietnam (soutenu par les États-Unis) au Nord Vietnam (soutenu par l’URSS), dans le contexte de la guerre froide. L’intervention militaire massive des États-Unis débute en 1964, envoyant plus de 500 000 soldats au Vietnam (dont 60 000 trouvent la mort). Un mouvement d’opposition à la guerre se développe aux États-Unis, défendant l’indépendance du Vietnam et dénonçant l’ingérence états-unienne et l’impérialisme. Soutenue par des vétérans du Vietnam, la contestation gagne une bonne partie de l’opinion publique, choquée par les images des violences commises sur des civil·e·s vietnamien·ne·s, et refusant de continuer à voir leurs jeunes mourir. Alors que la résistance vietnamienne met en difficulté l’armée états-unienne, des manifestations réunissent des centaines de milliers de personnes, de nombreuses émeutes étudiantes éclatent, de jeunes hommes brulent leurs papiers militaires, d’autres fuient au Canada. L’armée états-unienne se retire du Vietnam en 1973.
5. The Daughters of Bilitis : première organisation lesbienne aux États-Unis, fondée par huit femmes en 1955 à San Francisco, en réaction aux groupes homosexuels mixtes. Elles publient The Ladder (« L’Échelle ») à partir de 1956. Dans les années 1970, le groupe se divise entre revendications homosexuelles et féminisme. Bilitis est un personnage fictif, une jeune lesbienne grecque du 6ème siècle avant J.C, inventée par Pierre Louÿs dans son œuvre poétique Les chansons de Bilitis parue en 1894.
6. Martin Luther King est une figure emblématique de la lutte non-violente pour les droits civiques des noir·e·s aux États-Unis, contre la ségrégation raciale, la pauvreté, la guerre du Vietnam. Prix Nobel de la paix en 1964, il est assassiné le 4 avril 1968 à Memphis. Dans plus d’une centaine de villes, des émeutes éclatent dans les ghettos afro-états-uniens. À Chicago, l’insurrection dure deux jours et occasionne des dégâts matériels (bâtiments incendiés, lignes électriques et téléphoniques coupées, etc.) estimés à dix-millions de dollars. La répression fait onze morts (exclusivement des personnes noir·e·s), cinq-cents blessé·e·s et trois-cents arrestations.
7. Mohamed Ali, ou Muhammad Ali, est un boxeur de légende états-unien des années 1960. Membre de la Nation of Islam, il combat le racisme anti-noir·e·s aux États-Unis. En 1966, il refuse d’aller combattre au Vietnam et déclare : « Ma conscience ne me laissera pas tirer sur mes frères, des personnes à la peau foncée ou des personnes pauvres et affamées dans la boue, pour la grande et puissante Amérique. Pourquoi les tuer ? Ils ne m’ont jamais appelé nègre, ils ne m’ont jamais lynché, ils n’ont jamais lâché les chiens sur moi, ils ne m’ont jamais volé ma nationalité, ni violé et tué ma mère et mon père. » Condamné à dix-mille dollars d’amende et cinq ans de prison, déchu de son titre de champion du monde, il perd sa licence et ne peut plus boxer. Il évite la prison en appel, puis le jugement est cassé en 1971, alors que la guerre du Vietnam est de plus en plus largement contestée.
8. John Fitzgerald Kennedy, président des États-Unis de 1961 à 1963.
9. Les âmes du peuple noir, W.E.B. Du Bois, 1903 pour la version états-unienne.
10. À Greenwich Village, quartier accueillant une large population homosexuelle, le Stonewall Inn est un bar tenu par la mafia, laquelle voit dans le public gay un filon rentable. Il est notamment fréquenté par celles/ceux qui ne rentrent nulle part ailleurs : femmes trans’, drag queens, folles, personnes noires et latinas, jeunes, pauvres, travailleur∙euse∙s du sexe. Le 28 juin 1969, des policiers en civil font leur entrée dans le bar. Ils laissent partir une bonne partie de la clientèle et retiennent celles/ceux qui n’ont pas de papiers d’identité ou qui portent des vêtements attribués au genre opposé. Face aux brutalités policières, des affrontements éclatent devant le bar, contraignant la police à s’y réfugier, bientôt assaillie par de nombreux·ses gays, lesbiennes, trans’, ainsi que par des voisin·e·s. L’émeute dure plusieurs heures, opposant jusqu’à 2 000 personnes face à 400 policiers. Les jours suivants, la foule continue à s’amasser devant le Stonewall Inn et les affrontements avec les forces de l’ordre continuent. Dans les années qui suivent, ces évènements deviennent un symbole des luttes d’émancipation homosexuelle et trans’, souvent présentés comme le déclencheur des mouvements de libération fleurissant dans divers pays occidentaux. En juillet 1969, soit quelques semaines après les émeutes de Stonewall, est créé le Gay Liberation Front (Front de Libération Gay) à New York. Le 28 juin 1970, les premières Gay Prides sont organisées à New York et Los Angeles, commémorant l’anniversaire des émeutes de Stonewall.
11. Blue Moon, « Lune Bleue », célèbre ballade composée en 1934 par Richard Rodgers et Lorenz Hart, reprise par Billy Eckstine (1949), Mel Torme (1949), Elvis Presley (1956).
12. Dans le texte, high-in-the-sky fem, signifiant littéralement fem haut dans le ciel, est un jeu de mot avec high fem et high in the sky.
13. « Lune bleue, tu m’as vue me tenir seule, sans un rêve dans mon cœur, sans un amour à moi. »
14. « Mais tu es soudain apparue devant moi, et quand j’ai regardé, la lune s’était changée en or ! »
15. Référence à la suite des paroles de la chanson : « Lune Bleue, maintenant je ne suis plus seule, j’ai un rêve dans mon cœur, j’ai un amour à moi. »
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